Un jour, en rando, avec tous les CM2 de l'école
pour aller se promener tranquillou
pour répondre à des objectifs pédagogiques précis et définis auparavant autour d'une bière et d'un coca en conseil des maîtres
Moments choisis que j'ai gardés en souvenir...
- Hey m'sieur !
- Oui Farid
- C'est bien cette marche, hein ?
- Oui, oui ...mais marche sur le côté là.
- Tous les CM2 ensemble !! Wiiiii ! On est beaucoup, hein ? On est combien m'sieur ?
- Ben....(j'en sais rien moi)....Ben...réfléchis, voyons ! Il y a 7 classes de CM2 avec environ 26 élèves par classe. Ça fait combien ça ? (hé, hé, hé.....) Et t'es gentil, marche sur le côté de la route !
- Ouch.....ça fait.....heu.....
- Attends m'sieur ! Moi je sais ! Ça fait 26+7 = ......euh....42 ?
- ... (soupir)
- Non mais c'est pas grave m'sieur, en tous cas, ça fait bôôôôôcoup !
- Oui ...ça fait beaucoup.... (beaucoup trop longtemps qu'on n'a pas fait de problèmes...)
Et la rando se poursuit. En répétant toutes les 5 minutes de bien marcher sur le côté de la route car tu comprends, les voitures roulent vite et ce serait quand même dommage que tu te fasses écraser, hein ! (quoique ça me ferait un cahier en moins à corriger...)
- Hey m'sieur !
- Oui Rachida.
- Tu connais cet arbre là ?
- Ben oui, c'est un manguier.
- Et ça là ?
- Ça ? Hummm....c'est le jacquier.
- Et ça ?
- L'arbre du fruit à pain.
- Et ça ?
- De la canne à sucre.
- Et celui-là ?
- Facile ! Un ylang-ylang.
(brouhaha parmi les quelques élèves qui marchent à mes côtés. (certains étant d'ailleurs en plein milieu de la route....ils m'énervent....) Je crois comprendre qu'ils sont quand même un peu impressionnés... Tant mieux. Toujours épater ses élèves afin de leur montrer que vous êtes un puit de sciences et de sagesse.... (et que certains feraient bien de tomber dedans))
- M'sieur !
- Oui Maoulida.
- Celui-là, tu ne le connais pas !
- Si ! c'est ...heu....(j'avoue que là, il a fallu que j'observe bien). Ah ! C'est bon j'ai trouvé, c'est un cannelier !
- Trini ? (ce qui en shimaorais veut dire : quoi, qu'est-ce tu dis, j'ai rien capté !)(je l'entends souvent en classe...)
- C'est un ...."mdaraciné"
- Ewa !!!
Et oui, trop fort, le maître il sait même quelques noms d'arbres en shimaorais !
Sur ce ils m'ont un peu foutu la paix et, tout en les engueulant gentiment pour qu'ils marchent sur le côté de la route, on a continué notre rando !
Une heure plus tard.
- On continue m'sieur !
- Ben....C'est-à-dire que.....
(en fait, on était arrivé à un ravier. En saison sèche, pas de problème tu passes tranquillement. Mais là, on était en saison des pluies et une petite rivière mignonnette avait pris possession des lieux. Et si mes élèves marchent pieds nus ou en tongs, moi j'étais en baskets. Avec des chaussettes.)
D'où une rapide concertation avec mes 6 collègues :
- On continue ?
- Boaf...j'chais pas moi ! Comme vous voulez !
- Là nos élèves vont se mouiller les pieds...
- T'inquiète, regarde, y en a qui sont déjà dans l'eau !
- Merde c'est les miens ! Hey !! Vous là-bas ! Revenez tout de suite ! Et qui c'est qui qui vous a permis de .... Assane !!! pas la tête dans l'eau !! Lâche-le ! Mais bon sang, c'est pas possible Ah j'vous jure c'est la dernière fois que je vous emmène quelque part ! On peut jamais vous faire confiance. Et toi, tu m'écoutes quand je te parl....
- Hem...Bon, on fait quoi alors ?
- Il est bien le chemin de l'autre côté ?
- Ouais je crois. Mais je suis pas sûr. Bof...j'hésite...
- Ouais, moi aussi (et en plus je ne veux pas mouiller mes chaussettes.)
- D'un autre côté, si on fait demi-tour maintenant, on va arriver trop tôt à l'école et on va devoir les garder en classe...
- ON CONTINUE !!!!!!! (réponse unanime de 6 enseignants pas pressés de rentrer passionnés de rando)
Et nous voilà donc partis à franchir le petit cours d'eau pour la plus grande joie de nos élèves qui en ont profité pour se rafraîchir les pieds et les mollets. Certains ne connaissent pas bien les parties du corps et n'ont pas su localiser leurs mollets car ils sont arrivés trempés de l'autre côté...
N'empêche que moi, j'étais toujours avec mon problème de baskets et de chaussettes.
J'ai donc observé mes collègues. Deux écoles s'affrontèrent :
les collègues qui n'en avaient rien à foutre et qui pataugèrent gaiement dans l'eau avec leurs godasses (apparemment le fait qu'ils allaient faire pschhout pschhout à chaque pas durant la fin de la rando n'avait pas l'air de les perturber.... )
On appelera ce groupe-là les rustres.
Et l'autre groupe dont les membres choisirent de bondir avec agilité de roches en roches et qui réussirent à atteindre l'autre rive avec dignité et surtout sans se mouiller.
On les appellera les gazelles bondissantes.
J'ai tout de suite compris que j'allais faire partie des gazelles bondissantes. Mais j'ai tout de suite senti que j'allais également me vautrer, glisser et tomber le cul dans l'eau, perdant ainsi toute dignité sous les rires moqueurs de mes élèves qu'il me faudrait du coup sévérement punir pour cet affront fait à ma personne mouillée.
Et qu'en plus j'aurais les chaussettes toutes trempées....
Et, alors que je m'avançais vers la première roche immergée, me préparant à un grand moment de solitude, j'ai eu le plaisir, la joie, le ravissement de découvrir qu'un grand nombre de mes élèves (et même certains d'autres classes) avaient entrepris de me faire traverser sans encombre le cours d'eau non pas en me portant (l'idée m'avait effleurée) mais en m'indiquant roche après roche, où il fallait que je pose mes pieds.
Et ils le faisaient très sérieusement ! N'hésitant pas à comparer différents trajets en s'engueulant argumentant pendant que je poireautais en équilibre sur un caillou. Certains m'encourageaient à sauter, d'autres me tenaient, d'autres me félicitaient. Et le tout sans se foutre de la gueule du maître mzungu qui se trouvait quand même un peu pataud là où eux étaient d'une agilité époustouflante !
Après une traversée où j'ai quand même failli me flanquer dans l'eau (heureusement un gamin était pas loin et je l'ai utilisé comme personne ressource), j'ai pu moi aussi atteindre l'autre rive sain et sec ! (et les chaussettes épargnées!)
Qu'il est bon de se laisser prendre en charge par ses élèves...
Et la rando se poursuit. Sur un petit sentier. Ils peuvent marcher où ils veulent et bien croyez-le ou non, ils sont tous bien en rang sur le côté du petit chemin.... (ils m'énervent ...je suis sûr qu'ils le font exprès...)
- Hey m'sieur !
- Oui Ali ?
- Tu connais la pierre qui pleure ?
- Non, qu'est-ce que c'est ?
- C'est....heu....(conversations en shimaorais entre eux) (ils ne trouvent pas toujours les mots en français pour m'expliquer les choses) (et dire qu'il y en a qui veulent que j'aborde le subjonctif avec eux....pfff....)
- Viens m'sieur, on veut te montrer mais ..il faut pas rester sur le chemin, il faut aller un peu plus par là.
- Ah bon ? Mais...c'est loin ? (demande l'instit qui était en queue de rando et qui voit son collègue de devant disparaître dans un virage et qui sait pas trop s'il pourra retrouver son chemin, ses collègues et qui se demande quand même si c'est pas un traquenard imaginé par les gnomes élèves dont il a la charge....) (Toujours rester méfiant....un élève par définition est un être instable et imprévisible dont l'ultime objectif est d'attacher son maître à un arbre pour effectuer un rituel de sacrifices lui permettant d'avoir de meilleures notes...) (si, si)
- Non m'sieur ! c'est juste là ! Tu vois ?
- Bon.....ok. (dit le pauvre instit-fou qui a (vaguement) confiance en ses élèves)
Et nous voilà partis. Abandonnant le joli sentier tout tracé. Pour s'enfoncer dans la brousse en allant vers la rivière.
C'est vrai que ce n'était pas loin. C'est vrai qu'il y avait un rocher qui pleurait.
L'eau ruisselait dessus et avait créé des formes, des couleurs. Avec des fougères accrochées tout autour. Une végétation luxuriante. Un endroit à part. La lumière était belle. Le lieu serein.
Un élève m'a raconté que ce rocher pleurait car il avait commis une faute et Allah l'a puni en lui disant qu'il irait en enfer.
Et depuis ce jour, le rocher pleure.
Ça...tu le trouveras pas dans le lonely planet....
On est resté un moment. Ils étaient étrangement calmes. Le lieu était magnifique.
- Vous savez quoi ?
- Quoi m'sieur ?
- Vous avez quand même beaucoup de chance. Car vous vivez dans un endroit très joli. Elle est belle votre île, vous savez ça ?
- ..... oui monsieur, elle est belle...
C'est vrai quoi, on n'arrête pas de les gronder car c'est sale à Mayotte. Mais c'est pas forcément de leur faute.
Mais je crois que là, ça leur a fait du bien d'entendre quelqu'un dire qu'ils vivaient dans un bel endroit. Et qu'ils avaient beaucoup de chance.
On n'a pas toujours envie d'être plaint. On veut aussi parfois être fier.
Bises,
Instit-man qui sait de temps à autres pourquoi il fait ce boulot (et c'est pas que pour les vacances...)