Mon Dieu...
Encore 32 semaines et demi de classe avant les prochaines grandes vacances...
Alors, cette rentrée, comment ça s'est passé ?
Ouh là ! C'était LA question à ne pas vous poser !
Tous ceux qui ne consultent ce blog que pour regarder les jolies photos de soleil rouge qui se couche dans le bleu du lagon, peuvent zapper cet article, il n'y aura que du papotage !
Vous avez d'ailleurs appris cet été que des personnes de votre famille (que vous ne citerez pas) ne lisent pas vos articles s'ils font plus de trois phrases et se contentent de regarder les jolies photos du soleil bleu qui se couche dans le rouge du lagon. Cela vous a évidemment vexé. Mais, étant bien élevé, vous ne l'avez pas fait remarquer à votre oncle Louis adoré et votre cousine Sophie chérie ! N'empêche.... vous savez de sources sûres que de parfaits inconnus lisent chaque lettre de chaque mot de vos articles. Et qu'ils s'en délectent. Vous envisagez donc d'adopter ces parfaits inconnus comme oncle et cousine de substitution...
La rentrée donc.
Commençons par les choses de base. Vous avez retrouvé :
- le chemin de l'école (et sa route défoncée)
- votre classe (et sa poussière solidement implantée)
- vos collègues (et votre directeur adoré) (vous préférez fayotter si jamais il tombe par hasard sur cet article un jour)
A peine arrivé, vous vous êtes rapproché de vos collègues de CM2 pour :
- peaufiner votre progression en Histoire de l'Art
- négocier l'échange de 5 élèves contre 2 semaines de correction de cahiers
- savoir si c'est réellement demain la rentrée des élèves parce que vous n'êtes pas du tout prêt
Puis est venu le fameux moment où le directeur a rassemblé ses troupes afin de parler de l'organisation de l'année.
Vous vous étiez secrètement préparé à gueuler vous manifester bruyamment contre l'absence de matériel.
Or, non seulement vous allez avoir un stylo bleu-vert-rouge-noir pour chacun de vos élèves mais, en plus, chaque classe est dotée d'une impressionnante collection de cahiers (de quoi les faire plus travailler que vous ne vous en sentez capable).
Cela vous contrarie... Vous n'avez plus d'excuse valable pour ne pas travailler...
Puis vient la distribution des listes d'élèves. Un rapide coup d'oeil vous permet de constater que votre merveilleux directeur a bien tenu compte du travail que vous aviez effectué vous et vos collègues en fin d'année. Vous voilà donc avec un CM2 à double niveau : la moitié composée de bons lecteurs et plutôt bons partout d'ailleurs. L'autre moitié prête à découvrir avec votre aide-toute-puissante le sens mystérieux de ces drôles de symboles qu'on retrouve un peu partout dans les livres. Bref, des non-lecteurs.
(vous vous demandez à nouveau pendant un court instant comment autant d'enfants peuvent arriver en CM2 sans savoir lire...vous envisagez durant une seconde d'aller discuter avec certains collègues de CP et CE1 en leur expliquant que faire du collectif et du frontal sans arrêt pendant un an, ça ne marche pas forcément et que ce n'est pas en criant très très fort sur un élève qu'on le fait progresser (quoique...). Mais, n'étant pas de nature violente et polémique, vous préférez vous concentrer sur vos nouveaux esclaves jouets gnomes élèves.)
Damned ! Pas un seul prénom connu. Exceptée une Fatima. Vous allez encore passer pour un demeuré nouvel-arrivant lorsqu'en faisant l'appel, vous tenterez de prononcer avec peu de succès ces jolis prénoms aux résonnances parfois peu coutumières... Dire qu'en métropole vous étiez fier d'arriver, en à peine une heure, à mettre le bon prénom sur la bonne tête... Ici, vous allez encore trébucher et hésiter pendant des jours et des jours (voire l'année entière pour certains)
Puis il vous faut remplir quelques paperasses et écouter les recommandations d'usage de votre directeur. Recommandations que vous écoutez attentivement tout en envoyant un texto à un collègue-ami qui n'est plus dans la même école et tout en griffonnant sur un bout de papier la liste des courses à faire sur le chemin du retour.
Un passage vous interpelle cependant. Votre inspectrice a tenu à rappeler à tous les enseignants de sa circonscription que les insultes et châtiments corporels envers les élèves étaient interdits par le décret vous-ne-savez-plus-trop-lequel et que tout enseignant enfreignant ce décret serait vigoureusement battu par elle-même!
Non...
N'empêche l'idée vous amuse un instant. Un collègue demande alors si les insultes et châtiments corporels entre enseignants sont autorisés. Vous décidez de vous tenir éloigné de ce collègue pour le reste de l'année (ou au contraire de vous en rapprocher, vous ne savez pas trop...)
Puis vient l'heure de rentrer chez vous (sans oublier l'arrêt pour les courses que vous ferez finalement au hasard, ayant paumé votre petit bout de papier dans votre pochette de travail pourtant très bien rangée (forcément elle est quasi-vide)).
Que faire la première journée ...?
Vous sentez poindre une angoisse existentielle. Mais vous vous resaisissez immédiatement. Vous effectuez maintenant votre 14ème rentrée (ce qui vous conduit d'ailleurs à vous demander si vous faites toujours partie des jeunes instits...) (la réponse est oui) (et vous emm....ceux qui ont répondu non) et il est grand temps de laisser ce genre d'angoisses aux vrais débutants.
Un rapide coup d'oeil sur votre cahier-journal de l'année dernière vous permet de constater que vous aviez préparé une excellente première-journée il y a un an et comme tous vos élèves sont nouveaux, il n'y a pas de honte à la ré-utiliser (comme dit le dicton, c'est dans les vieux cahiers-journaux qu'on fait les meilleures prep !)
Et c'est donc l'esprit serein que vous décidez, en cette veille de rentrée, d'aller vous ressourcer dans le lagon...
Premier jour de classe.
Vous arrivez en avance. Prêt. Ayant travaillé votre regard-qui-tue dans la glace ce matin (vous avez failli faire sauter vos lentilles de contact).
Le coup de sifflet retentit, le portail s'ouvre et une marée d'élèves se précipitent dans la cour tels des makis se jetant dans une piscine remplie de bananes. (Si les élèves sont les makis, vous vous demandez bien qui sont les bananes...)
Mais maintenant vous êtes fins rôdés aux habitudes de l'école. Vous savez que vous ne commencerez pas à faire classe avant une heure. Le temps que chaque élève trouve sa classe et voit s'il travaille le matin ou l'après-midi.
Au bout d'une heure de joyeux bordel, les élèves de l'après-midi ont été expulsés raccompagnés hors de l'école. De votre côté, vous avez finalement réussi à faire comprendre à une maman que son enfant ne peut pas être dans votre classe vu qu'il est en CE2. Pendant ce temps, un papa d'élève vous a tenu un long et impressionnant discours en shimaorais tout en pointant un doigt sévère sur sa fille qui, tête baissée, n'en menait pas large. Vous n'avez rien compris mais vous avez fait vos gros yeux à l'enfant, ce qui a dû plaire au papa puisqu'il a vous a fortement serré la main avec un grand sourire en vous quittant...
Et vous voilà face à eux...
Vous allez passer une année ensemble.
Alors que vous n'avez pas encore fait le deuil de ceux de l'année dernière. Passés en 6ème pour la plupart...
Ils vous manquent. Vont vous manquer. Mais vont repasser vous voir. Ils vous avaient prévenu. En rigolant vous leur aviez dit en juin que vous leur balanceriez des pierres s'ils revenaient car vraiment ils ont été insupportables et horribles et vous êtes bien contents qu'ils s'en aillent. Ils avaient répliqué que vous étiez un maître très méchant et horrible et qu'ils étaient bien contents de s'en aller.
Ca n'a pas été facile de se quitter...
Alors ces nouveaux... ?
Vous leur faites le coup du maître très froid et distant et sévère. Vous vous promettez de garder cette attitude au moins jusqu'aux vacances de Toussaint. Evidemment vous ne tiendrez pas et deux semaines plus tard, vous vous laisserez parfois gentiment envahir et un désordre studieux régnera de temps en temps dans votre classe.
Et puis, vous êtes bien obligé d'avouer que ça se passe plutôt bien pour l'instant... Soit vous avez vraiment changé en l'espace de deux ans et êtes devenu un warrior-instit, soit votre réputation de killer d'élèves a fait le tour du village, soit vos collègues vous ont sélectionné les élèves les plus calmes car vous le valez bien...
Le premier vendredi de classe, trois jours après la rentrée, vous sentez qu'une légère agitation règne dans la classe après la deuxième récréation. Comme un frémissement dans l'air. Les sens en alerte (un instit en classe, c'est parfois comme un explorateur dans la jungle, le danger peut venir de partout, il faut être prêt à réagir), vous guettez. Et puis, après quelques échanges à voix basse en shimaorais, l'un d'entre eux se lance (un téméraire, peut-être le leader...vous notez de le garder à l'oeil et de vous en faire un allié par la suite) : Monsieur, on ne fait pas musique ?
Petit baume au coeur (c'est à ce moment-là que vous avez commencé à relâcher un peu votre attitude glaciale-qui-en-impose). Vous ne leur aviez pas dit qu'il y aurait musique le vendredi après la deuxième récré. Mais le bouche-à-oreille fonctionne bien. ils vous ont entendu l'année dernière et savent qu'ils sont avec le maître-chanteur de l'école. Et ils ont envie. Vous leur répondez (de manière très professionnelle) qu'en ce début d'année il convient d'axer les apprentissages sur les matières fondamentales que sont le français et les maths et que la musique, on verra plus tard. Traduction : vous n'avez pas eu le temps de préparer votre séance de musique car vous êtes débordé, vous ne retrouvez plus vos partitions et il est hors de question d'improviser une telle séance car c'est le meilleur moyen de se planter en beauté devant eux !
Bon...alors tout va bien ?
Ben oui.
Pour l'instant.
Ils travaillent. Les bons se débrouillent bien. Et les "en difficulté" prennent tranquillement confiance en eux et s'aperçoivent qu'ils peuvent réussir.
L'humour fait son apparition. Ils vous cherchent, vous testent un peu.
Vous les bousculez, vous en dérangez certains.
Vous vous apprivoisez.
Alors c'est reparti. Inch'Allah comme ils disent.
Bises,
ps : vous avez reçu une nouvelle armoire entière toute neuve rien que pour vous ! Vous avez failli pleurer d'émotion...
ps bis : les anciens sont repassés vous voir. Et encore. Et encore. Vous ne leur avez pas jeté de pierres finalement...